lundi 14 septembre 2015

Quand deux générations comparent leurs souvenirs d'école

Sources Thot Cursus

Créé le mardi 1 septembre 2015  |  Mise à jour le lundi 14 septembre 2015



Quand deux générations comparent leurs souvenirs d'école

Profitant d'un jour de pluie pendant les vacances, j'ai sorti un vieil album et quelques souvenirs de mes années scolaires. Ils sont éparpillés dans un tiroir, comme si j'y avais vidé le contenu d'un cartable. Trente ans ont passé, et tout semble bien loin. "Tout a changé depuis... Vous avez de la chance tout de même !", dis-je en me tournant vers ma fille.

"Doucement ! me répond-elle. Tu t'étourdis de blogs de pédagogues qui te disent que l'innovation bouleverse le monde scolaire. Ils te présentent des imprimantes 3D, des serious games, des capsules vidéo, et tout semble fonctionner... Montre-moi ce tiroir, mais je te dirai comment ça fonctionne réellement aujourd'hui"

La craie

Je suis plutôt sceptique et j'explique. Il y a encore quelques années, les enseignants utilisaient des craies. C'était un outil à tout faire. Visuel, il permettait d'écrire et de dessiner. Auditif, il crissait, et tapait contre le tableau. Mais c'était aussi un projectile redoutable. Un professeur qui savait viser savait se faire respecter. 


A cette époque, les chiffons disparaissaient, les élèves les cachaient, les profs se les piquaient. Alors, nos enseignants amenaient de chez eux des bouts de chemises ou de tabliers déchirés... Ils ont inventé le BYOD, "Bring your own device".


la craie

Les élèves du premier rang, comme l'enseignant étaient couverts de poussière, et avaient dans les poumons de quoi blanchir un mur. Le tableau numérique, c'est tout de même plus confortable.
- Détrompe-toi, me répond ma fille.  Vous cachiez les chiffons... Nous cachons les télécommandes. 
  Les fils électriques et les rallonges sont des causes de chute. Et les professeurs, fatigués des équipements au fonctionnement aléatoire, ont redécouvert le BYOD. Ou plutôt, ils ont recours à nos smartphones et tablettes pour récupérer une vidéo ou une musique sur Internet.
Enfin, les architectures de nos collèges et lycées ont été conçues avant la révolution numérique. Les prises électriques sont rares. Nos enseignants doivent faire des contorsions pour brancher leurs équipements.» 

Les diaporamas

Convaincu sur la première manche, je reprends :
"Mais tout de même ! Nous avons connu l'arrivée de Powerpoint. Des professeurs tenaces alignaient les diapos à la dizaine, usant et abusant des wordarts et cliparts. A la fin des années 90, on voit apparaître des cas de "DBP" (death by powerpoint) ! Au moins, vous n'avez plus ce genre d'excès ! Des articles et des livres ont été publiés qui ont calmé les ardeurs créatives des utilisateurs les plus excessifs.

diaporamas
- Sans doute, me répond l'adolescente. Mais Powerpoint a laissé la place aux Prezi et ToonBoom, voire Videoscribe. Nos profs sont enthousiastes, ils y passent leurs soirées. Mais une demi-heure de Prezi, lorsqu'on n'a pas le pied marin, ça provoque plus de troubles digestifs que les wordarts dont tu me parles. DBP est en passe de devenir "Death by Prezi".»
On ne peut être que d'accord. Powerpoint ou Prezi rencontrent les mêmes écueils. Trop de textes, trop d'effets, trop de mouvements. Un article de Sydologie le démontre assez clairement. Pour vanter les mérites de la modernité, je dois trouver d'autres arguments.

Découvrir le réel

«Nos pédagogues amenaient des animaux ou des plantes, dont il fallait s'occuper. Combien de rongeurs ont souffert à cause de la pédagogie ! 
Nourris à l'excès, manquant d'exercices et terrorisés en permanence, les lapins, hamsters et souris ne tenaient pas longtemps... Pour le bonheur des enseignants, qui auraient été bien embarrassés s'ils avaient dû les amener chez eux à la fin de l'année...

la classe élève un lapin
- J'ai moi aussi dû m'occuper d'animaux durant ma scolarité au collège. Mais le virtuel a pris le relais. Il y a deux ans, nous avions un hamster dans la classe, et sur l'ordinateur tournait une application virtuelle qui simulait un élevage de lapins. S'ils manquaient d'eau, de nourriture ou si la cage était sale, des signaux nous alertaient. Lorsque nous nous occupions bien de l'animal, des points et des badges étaient attribués à la classe ou aux élèves, individuellement.
Notre élevage de lapins virtuels a connu une croissance très rapide. Nous étions très motivés. Nous avons même gagné un challenge interacadémique. Par contre, nous en avons complètement oublié le hamster...»

Le carnet de correspondance

Voilà que je retrouve au fond du tiroir un carnet de correspondance.
«Ce support n'a pas tout à fait disparu. Si un enseignant faisait une remarque écrite sur notre comportement, si nous recevions une punition..., la sanction nous accompagnait toute l'année. Quiconque le consultait pouvait voir le motif de la punition, les circonstances, et commenter à souhait. Nous devions parfois nous justifier de faits commis six mois plus tôt !

carnet de correspondance
- Et tu crois que le numérique a apporté une plus grande confidentialité à ces annotations ? m'interroge ma fille. Au contraire. Le carnet de notes en ligne peut être consulté  par les enseignants, les conseillers d'éducation et "par toute personne habilitée". Les cartables électroniques nous géo-localisent en permanence, les carnets de correspondance communiquent en temps réel avec la boîte mail et le téléphone portable des parents...

On vit sous surveillance constante, s'emporte-t-elle ! Un article du site Le Monde le démontre sobrement. Plus largement, Slate s'interroge en octobre 2014 : "Comment sommes-nous devenus les Big Brothers de nos enfants ?"»

Me voilà donc dans le rôle du grand naïf. Le numérique, c'est aussi des tracas, des prises trop courtes, des sources d'ennuis, d'excès d'enthousiasme non communicatif ou de contrôle. Mais après tout, tant mieux, c'est ce qui permettra à nouveau ce genre  de discussion, dans trente ans, en ouvrant un tiroir, ou plutôt, en redécouvrant une clé usb.

PS - Bien entendu, cette conversation est purement imaginaire. D'ailleurs, il n'a pas plu pendant mes vacances !

Illustrations  : Frédéric Duriez et Alexia Duriez

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